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BBAUZ-ARTS.
k^ o/eut-étre aurons- nous assez mau- I vaise grâce à en- tonner en notre ' propre honneur 'l'hymne banal du panégyrique; mais l'année qui finit est la plus sûre ga- rantie de l'année qui commence; l'avenir se devine par le passé. L'Artiste a-t-il man- jué un seul jour à son programme? Il est ffacile d'en juger. Qu'avait-il promis à ses lec- |fteurs? En fait de beaux-arts , de les tenir au 'courant de ces incidents si riches d'intérêt qui naissent à tout moment dans le monde des artistes; d'esquisser à mesure les mille détails si cu- rieux de la vie des ateliers; d'examiner, à leur appa- rition , les productions nouvelles; de faire la chronique, parfois scandaleuse, de l'Institut et de l'École des Beaux- Arts ; de raconter le Salon de Paris et les expositions de province; de visiter, un peu au hasard, les galeries pu- bliques et particulières; de saisir au passage les gracieuses fantaisies de l'art, d'apprécier les œuvres architecturales et les innombrables variétés des travaux publics, de met- tre en lumière les consciencieux travaux des archéo- logues contemporains, d'aborder quelques biographies d'artistes du présent ou du passé; de jeter, à l'heure so- lennelle, quelques mots de souvenii" sur la tombe des morts. L'/lriiste s'est montré fidèle à ses engagements. Rappelez-vous les articles généraux sur les beaux-arts , les comptes-rendus du Salon , des concoul-s pour le prix
2i SÉRIE, TOME VII. !« LIVRAISON.
de Rome, des envois de la Villa-Médicis et des exposi- tions départementales; l'examen sérieux et persévérant des différents projets qu'a fait éclore la nécessité d'un monument funéraire pour l'empereur Napoléon; l'Oran- gerie du Louvre, la vente des collections de S. A. R. le prince de Lucques, de Redouté, de la galerie Lebrun; la publicité des récompenses ; les lettres sur Montpellier et sur l'Italie; la Sainte Geneviève à Versailles; les bron- zes Denière ; l'épée du comte de Paris ; la Stratonice et la Nouvelle Odalisque, de M. Ingres; les biographies de Philippe Brunellesco, de Kaulbach , d'Ary SchefTer et d'Horace Vernet; les articles nécrologiques sur MM. Pe- tilot, Ansiaux, Emile Contant, etc.
En fait de littérature , l'Artiste avait à suivre pas à pas le mouvement des théâtres lyriques et autres, à soulever un coin du voile qui recouvre les faciles mystères des réunions parisiennes , à publier des esquisses de mœurs et des récits de voyages, à parsemer çà et là ses colonnes d'ingénieux caprices littéraires et de nouvelles intéres- santes, à appeler l'attention du public sur les livres de toute sorte et les romans nouveaux , à redire ses impres- sions sur les fêtes publiques , à entremêler sa prose habi- tuelle de quelques vers harmonieux , à tracer de temps à autre des notices biographiques et des tableaux de genre. Et qu'est-ce donc que la Revue hebdomadaire des théâ- tres, la Revue littéraire et bibliographique, la Bienfai- sance et le Bal, Mgr l'Archevêque de Paris, AL de Broé. le Diable amoureux, l'Esclave, un Journaliste à Londres. l'Éloge de M""= deSévigné, les Vêpres siciliennes, le der- nier Visconti , un Épisode de la vie de Léon X? Qu'est-ce
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L'ARTISTE.
qu'Un peu de Tout, la Physiologie du Tabac, rilistoirc d'un Sculpteur sur bois et celle d'un Maître d'école , le Roi des petits Poètes, la Délaissée, les Discrétions et la Physiologie philozootiquc, la Vie des Peintres, Sculp- teurs et Architectes, par Vasari; la Préface inédite de Jocelyn , les Lettres inédites de J.-J. Rousseau à la mar- quise de Verdelin , la Critique de l'Histoire du Languedoc et de l'Histoire de France , celle de l'Histoire de l'Art mo- derne en Allemagne, par M. le comte de Raczynski , et de l'Instruction publique en France , par M. Emile de Gi- rardin ; les Causeries , un Doute sur l'Art chrétien , un Dénouement à l'envers, l'Amour par Procureur, les Artistes honteux, les Lettres sur Copenhague, Rome et Naples, les Fêtes de Juillet et les Funérailles de Napo- léon? Qu'est-ce que tout cela, sinon un péle-méle, bizarre parfois ( comme il doit advenir dans toute publication qui ne reconnaît ni exclusions systématiques ni privilèges d'aucune espèce) , mais instructif souvent, et amusant toujours? Ce journal a compris qu'à une époque de la- beurs opiniâtres et d'incessantes aspirations vers des idées nouvelles , son rôle était de protéger les jeunes intelli- gences et de leur faciliter les rudes commencements de la carrière des arts et de la littérature , tout en modérant l'impétuosité de leurs écarts et l'exagération de leurs ten- dances. La tâche était noble et belle; la phalange s'est formée autour de lui ; les noms se sont groupés , les uns déjà brillants et célèbres, les autres pleins d'espérance et d'avenir. Ce n'est pas tout : les peintres les plus éminents et les graveurs les plus habiles de ce temp&^;i sont venus lui offrir l'aide de leur pinceau et de leur burin , et c'est ainsi qu'à sa prose élégante et châtiée il a pu joindre des planches d'un incontestable mérite , empruntées aux ar- tistes les plus populaires : la Caravane, le bon Samaritain, l'Enlèvement, le Départ, les Travestissements, Lesucur chez les Chartreux, le Toit à Porcs, le Christ au Jar- din des Oliviers, un Paysage, la Causerie orientale et les Femmes d'Alger, des Vues des Alpes Ct du Tyrol, les Bas-Bretons, le Récit, un Philosophe, l'Espiègle, la Prome- nade à l'Église, Adrien Vandervelde, la Vue du Canal de Marly, la Montée, la Cascade dans le Cumbcrland , une Vue prise en Flandres, l'Ermitage, les deux Frères, la Vue du château d'Arqués, le Prisonnier, la Bohémienne, la Maison de Royat , les Truands , le Portrait de Rem- brandt, et tant d'autres délicieuses gravTires. L'année qui vient de s'écoulera été heureuse et féconde; en sera-t-il de même de celle qui s'est ouverte hier? Nous avons tout lieu de l'espérer, car les éléments restent les mêmes , et notre expérience a grandi. Une fois les préoccupations de la première semaine évanouies, les artistes vont se re- mettre à l'œuvre avec ardeur : de vagues rumeurs circu- lent déjà parmi nous ; de mystérieux secrets se trahissent, des noms sont prononcés ; le Salon de 18il est proche, et avec lui renaîtront les impressions de crainte, de joie, de surprise , de douleur même, les émotions de tout genre
qui accompagnent d'ordinaire cette époque privilégitr Il y a peu de nouvelles cette fois. A l'heure où le.s hommes de comptoir apuraient leurs comptes annuels, où les heureux et les oisifs de ce monde encombraient les rues élégamment parées et les magasins surchargés de richesses, les artistes se reposaient nonchalamment et reprenaient haleine; l'incident sommeillait; il n'y avait plus d'écho.
Nous vous dirons cependant que les décorations de circonstance, exécutées pour la cérémonie des funé- railles, s'en vont une à une; que la statue de l'Immor- talité, par M. Cortot, est descendue de son piédestal de la Chambre des Députés pour être coulée en bronze ; que le bateau-catafalque amarré le long de la Seine, au bout de l'Esplanade des Invalides, ce rendei-vous tem- poraire des curieux ct des promeneurs, a fait son temps, et que l'heure est arrivée de le détruire. MM.Visconfi et Labrouste, ses auteurs, ont commandé d'un œil sec la démolition de cette œuvre , d'une élégance et d'une no- blesse incontestées. Vous saurez aussi que l'église des In- valides , si remplie de mouvement et de tumulte à cette fin d'année , est près de secouer sa physionomie d'em- prunt et de reprendre ses antiques allures. Le mausolée impérial commence à disparaître; l'aigle descend de son faîte et reploie ses ailes. L'orct le carton se .séparent ; les tentures violettes se détachent des murs ; le cristal et la lumière ont cessé de briller; le maître-autel reparaîtra avec ses élégantes colonnes; les voûtes recouvreront leur vieille et austère nudité. Les restes mortels de l'empe- reur Napoléon seront déposés dans la chapelle Saint- Jérôme, une des six chapelles latérales attenantes au dôme. Là, tout sera tendu de noir; des (ampes ardentes s'élèveront autour d'un catafalque plus modeste ; l'entré*' sera fermée par une porte en bronze surmontée dune aigle aux ailes déployées : dernière halte du cercueil du grand homme jusqu'au jour de sa translation dans un monument définitif; et ce monument , nous l'avouons à regret, tout prouve jusqu'ici que la pensée ministérielle est, plus que jamais, de lui affecter le malencontreux emplacement du parvis qui gît sous le dôme de l'église des Invalides.
— Il y aurait bien encore, comme incident curieux de la semaine, la réception de M. le comte Mole a l'Acadé- mie-Française. Mais, par malheur pour nous, la poli- tique a envahi même ce dernier sanctuaire des lettres: si bien qu'il nous serait impossible de discuter le discours du récipiendaire et la réponse de M. Dupin . sans faire une incursion en terre étrangère : or, la manie des con- quêtes ne nous est pas encore venue.
L'ARTISTE.
SOCIÉTÉ LIBRE DES BEAUX-ARTS.
Itoterie d'Objets «l'art, au bénéfice des victimes de l'Inonilation.
J(A Société libre des Beaiix- Arls, Tune de ces laborieuses et persévérantes associations qui s'occupent sans relâche du , sort de l'artiste et de celui de ■son œuvre, annonce une sous- cription à laquelle nous ne saurions trop applaudir; il s'a- git de venir au secours des dé- f parlements victimes des der- nières inondations. Quand tou- tes les classes de la société, quand les réfugiés étrangers eux- mêmes, ces élus de la misère et du dénuement, s'empressent de venir au secours de ces déplorables victimes, nous autres, nous ne pouvions rester en arrière, nous devions apporter notre offrande, offrir notre concours; nous l'avons fait. Na- guère VÀrliste appelait à l'œuvre ce peuple intelligent et dé- voué, dont il est l'organe elle représentant; aujourd'hui en- core, il élève la voix pour convier à celte généreuse entreprise tout ce qui porte un cœur noble, tout ce qui manie un crayon, un pinceau, un burin , un ébauchoir. Sa voix, nous n'en dou- tons point, sera entendue de tous; — ce n'est pas dans ce pays que l'on en appelle en vain à la générosité nationale et à tous les nobles sentiments.
Voici donc que, d'accord avec nous, et .sur le rapport de M. Albert Lenoir, la Société libre des Beaux-Arts s'agite avec une noble émulation ; elle décide d'écrire à tous les artistes pour les inviter à coopérer à celle glorieuse œuvre de bien- faisance, non-seulement à ceux-là qui font partie de l'asso- ciation , et le nombre en est grand , mais à ceux-là même que leur titre seul d'artiste désigne à sa généreuse quête. Elle de- mande à l'un un t;ibleau, à l'autre une aquarelle, à celui-ci une maquette, à celui-là une gravure. — Courage donc, nobles cœurs ! Qui donne au pauvre donne à Dieu , le poêle l'a dit. Ces charités -là portent bonheur. Préparez-vous tous. Des commissaires , membres de la Société , et porteurs
d'une lettre officielle, se présenteront partout pour glaner la gerbe miséricordieuse. De tous ces objets, offerts par une pitié sainte , il sera formé , dans la salle des séances de la Société des Amis des Arts, une exposition publique, dont nous ren- drons certainement compte ; et tous les dons , quels qu'ils soient, livres, croquis, autographes, porteront le nom du donataire; puis un nombre de billets, calculé de façon à ce que, sur cinq, il y eu ait un gagnant, et dont le prix seraolté- rieuremenl fixé, sera distribué ; et enfin, à jour fixe , on tirera celle loterie de la charité, dont ou pourra provisoirement dé- poser les lots chez M. Normand, archiviste de la Société, rue Saint-Jacques, n. 58.
C'est là, nous le répétons, une tâche noble et difficileque s'est imposée la société libre des beaux-arts. Le concours des ar- tistes aplanira certainement beaucoup d'empêchements et d'obstacles , mais l'organisation de cette œuvre de bienfaisance n'en aura pas moins été des plus louables et des plus méri- toires. Il est digne des artistes de les voir sortir ainsi de leur retraite , pour descendre dans la vie publique , les mains chargées des trésors de l'aumône. C'est pour le monde sur- tout que cette œuvre pieuse sera féconde en enseignements. Ce sont ceux-là qui souffrent et qui travaillent, — dont la vie est une lutte constante contre la gêne et l'obscurité, — qui n'ont pas trop de leur travail pour suûire à chaque jour, — qu'il est beau de voir des premiers accomplir ce pèlerinage admirable de la bienfaisance. En les voyant apporter l'un son tableau, et l'autre sa statue , le public comprendra que ce sont là de généreuses natures, etbaltra des mains devant eux; et qui sait? peut-être que cette exposition révélera de nouveaux noms, ou de nouvelles qualités, chez ceux qui sont déjà connus; peut- être que plus d'un amateur s'éprendra d'un croquis ou d'un talent , et qu'au sortir de là il ira chez l'artiste bouleverser ses carions , et chercher pour lui quelque œuvre pareille ou commander quelque toile. Alors, savez- vous, l'œuvre aura porté son fruit; la bienfaisance aura son salaire, el. Dieu ai- dant , quelque jour , tel qui serait resté obscur toute sa vie se trouvera heureux et célèbre , grâce à cette petite exposition sans jury, et qui n'aura pas lieu au Louvre. Voilà un beau rêve, n'est-ce pas? Eb! mon Dieu, ne rions pas trop des rêves; il y en a qui se sont gravés sur l'airain , et qui vivront dans l'é- lernilé ; d'ailleurs, n'en sommes-nous pas au temps des grands effets produits par de petites causes? Allons donc toujours notre train , sans souci des caquets et des songes ; que nous importe après tout? Faire le bien pour le bien est une philo- sophie qui en vaut bien une autre.
Gabriel MONTIGNY.
C'AIITISTE.
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Par KUBEIVS.
gg N a fait à Gand, il y a quelques a mois, la vente des tableaux de ; M. Schanip d'Aveschoot (1). Ce cabinet, que la famille du der- nier propriétaire avait com- mencé à former il y a plus d'un l siècle , et que lui-même avait lenriclii pendant de longues an- (Uées, jouissait d'une baule cé- lébrité. Point d'étranger tant soit peu ami des arts ou simplement curieux qui passât à Oand sans aller le visiter. Ce n'est pas cependant que les morceaux de premier ordre y fussent en grand nombre; la vente l'a bien prouvé, puisque deux tableaux des plus chers, un Téniers et un Rembrandt, n'ont guère dépassé lo ou 16,000 francs chaque. Mais c'est la gloire de Rubens qu'un seul ouvrage de lui constitue la véritable richesse d'une foule d'églises et de collections particulières. Et celle fois encore, ce qui avait fait principalement la réputation du cabinet de .M. Schamp, c'était un seul tableau de Rubens, il faut bien l'avouer, mais un de ces tableaux hors de ligne, cl dont les connaisseurs disent tout d'abord : cela vaut 50 ou 60,000 francs; un de ces tableaux que l'on n'oublie jamais «ne fois qu'on les a vus, et qui ont leur place marquée dans le mu- sée de quelque grande capitale , ou tout an moins dans un de i:es cabinets où l'on n'admire pas moins rimporlance que le choix des œuvres de l'art. Le tableau dont nous voulons parler représente les miracles de saint Benoîi. Il a été acheté par M. Tencé, de Lille.
Quoique nourris de la contemplation des plus magnifiques pages de Rubens, et dès longtemps familiarisés avec toutes leurs beautés, nous nous sommes arrêtés pendant des heures en- tières devant les Miracles de saint Benoit , dans le cabinet de -M. Tencé. Frappés, étonnés, entraînés par celte peinture élo- quente, nous avons cru que c'était un devoir d'appeler d'une manière toute spéciale l'attention publique sur un ouvrage que nous n'hésitons pas à signaler comme un prodige du pin- ceau de Rubens. Ce devoir, nous venons le remplir, peut-être avec celle chaleur sans laquelle on ne conçoit guère le senti- ment des arts, mais aussi, nous le déclarons non moins sincè- rement, avec la conscience d'un juge impartial.
Les historiens de saint Benoit racontent qu'en 542, ïolila désireux de voir un homme que ses bicnliuis et ses travaux apostoliques avaient rendu si célèbre, voulut cependant met- ire à l'épreuve la pénétration miraculeuse que lui ailribuait la lenommée. Totila fit donc revêtir de ses habits un de ses écuyers, qui se rendit au Mont-Cassin, en s'annonçant comme
il) Voir ['Artiste, tome VI, 2" Série, 10' livraison, page 150.
le roi des Golhs; mais saint Benoit n'eut pas de peine ii démê- ler la supercherie. On peut croire aisément qu'il n'avait pas reconnu sur le front de l'écuyerces caractères de fierté qu'im- prime ordinairement l'habitude du commandement. Quoi qu'il en soit, la ruse étant découverte, Totila se préseul:i lui-même devant saint Benoit , et l'on assure que ce dernier lui parla en honnne que ses vertus élevaient au-dessus de tous les rangs : il lui reprocha ses cruautés, ses injustices et ses conquêtes; Il alla plus loin, il lui prédit sa fin prochaine , en l'invitant à profiler du peu de temps qui lui restait à \ivrc pour réparer une partie des maux qu'il avait faits au monde. .Soit convic- tion, soit étonnement, le fier barbare ne s'uflieii.sa point de cette noble hardiesse, et l'on dit même que, dès ce moment, il se montra plus humain.
La légende de l'abbé du Mont-Cassin lui attribue des œuvres beaucoup plus difficiles : il a délivré des possédés; il a rendu la raison à des insensés; il a guéri des estropiés; enfin il a ressuscité des morts. Toutefois, son entrevue avec le roi des Goths, moins merveilleuse au fond, emprunte cependant une plus grande importance de son caractère hi.storii|ue, et, comme telle, on comprend que Rubens ait dit lui donner la principale place sur une toile où il avaitdesseiu de retracer, comme dans un poème, les miracles les plus fameux du fondateur des or- dres monastiques en Occident.
Le peintre nous transporte donc au moment où I «■cnycr d(; Tolila arrive, escorté d'une suite brillante et nombreuse, aux portes du monastère du Mont-Cassin ; les moines, les habitants du pays, les guerriers, accourent de toutes parts dans rattenle d'un grand événement; saint Benoît est sur le seuil du monas- tère, et, à son attitude, à l'expression de son visage, surtout à son geste, on voit que du premier coup d'œil il a reconnu le simple écuyer sous les habits du monarque. Ce geste est si juste et si vrai, il est une traduction si naïve et si frappante d<- la pensée de saint Benoit, qu'il semble qu'on, l'entende dire à cet écuyer : « Ce n'est pas vous qui êtes le roi des Guths, non ; n'espérez, pas me tromper, n L'ne telle sagacité devait naturellement tenir du prodige aux yeux de ces Barbares, et l'on imagine sans peine l'effet qu'elle produisit sur eux dans un siècle d'ignorance el de siqierstition. L" écuyer et les guer- riers qui le suivent inunédiatcment reculent stupéfaits , tandis que, dans le reste du cortège , l'ctonnement et la surprise se manifestent sous des formes variées, mais moins énergiques, comme il convenait à des hommes qui , plus éloignés de lu scène, n'ont pas reçu une aussi vive impression de l'événe- ment. Quant à la couleur de ces diverses figures, on ne l'ad- mirerait pas davantage si elles étaient sorties du pinceau de Paul Véronèse ou de celui du Titien.
Cependant, h la gauche du spectateur, Totila , qu'un de s<*s guerriers est venu avertir de ce qui se passe, s'apprête ii dos- cendre de cheval pour aller vers saint Benoit. Il est impossible, assurément, de se tromper sur cette intention du roi des GoUis, à le voir le visage tourné vers ce guerrier comme s'il achevait de l'écouler, le pied droit hors de l'étrier et le corps déjà incliné à gauche. Mais si l'on ne saurait assez louer le naturel et la vé- rité de ce mouvement , que ne dirons-nous pas du cheval de Totila et de celui qui l'avoisine, el que moulait sans doute son écuyer? Ces deux chevaux, l'un blanc, l'autre bai, et vus, ce- lui-ci de face, celui-là par-derrière, offrent un exemple de raccourci des plus étonnants, el ont un tel relief qu'ils parais-
L'ARTISTE.
sent sortir de la toile. On sait que Rubens a toujours peint les animaux avec un talent hors de pair. Il le savait bien lui-même, et c'est pourquoi il n'a négligé aucune occasion d'en placer dans ses compositions, qui en tirent un mérite particulier. Mais ne connùt-on de lui que les deux chevaux dont nous ve- nons de parler, et qui, pour la couleur, rivalisent, ainsi que la ligure de Totila, avec tout ce que leur auteur a produit de plus vrai et de plus brillant, de plus harmonieux et de plus magique tout à la fois, nous aflirmons qu'ils seraient à eux seuls une preuve éclatante de ce talent.
Au centre du tableau , sur les premiers plans , s'accomplis- sent les autres miracles de saint Benoît. Voici d'abord ce paysan dont fait mention l'histoire du saint, et qui alla le trou- ver un jour pour le supplier de rappeler son enfant à la vie. Sa femme est près de lui, à genoux, et se Joint à ses prières avec une ferveur toute maternelle. L'homme qui soutient son enfant sur ses bras et l'élève vers saint Benoît , est un modèle de vérité dans la manière dont il est posé, tiint Rubens a heureusement observé toutes les lois de l'équilibre du corps humain au mo- ment d'une pareille action. Ensuite vient un mort qui ressuscite, entouré de divers personnages, dont les uns, n'en pouvant croire leurs yeux, s'assurent, à la fa(,'on de saint Thomas, en le tou- chant, qu'ils ne se trompent point , et dont les autres se parta- gent entre la joie et la surprise que leur cause cette résurrec- tion. Ce ressuscité rappelle deux chefs-d'œuvre de Rubens , le Christ de la descente de croix et le Christ à la paille, qui se trouvent à la cathédrale et an Musée d'Anvers. Il est, comme le second, un prodige de raccourci et de couleur; entouré, comme le premier, d'un linceul blanc, il offre une seconde fois ce tour de force que Rubens pouvait seul accomplir avec suc- cès en hasardant deux couleurs identiques , deux masses de blanc pur à côté l'une de l'autre. Plus loin , un possédé se dé- bat convulsivement entre les bras de deux hommes vigoureux qui peuvent à peine le retenir; et telle est la contraction vio- lente de tous les muscles de son visage, tel le mouvement ef- frayant de ses yeux, telle l'énergie désordonnée de ses gestes, qu'on croit le voir s'agiter et ouïr les cris horribles qu'il jette. Jamais l'illusion n'a été poussée plus loin en peinture. Que n'aurions-nous pas encore à dire si nous voulions continuer à analyser les ligures les plus remarquables de cette partie du tableau! Nous nous contenterons d'en citer encore deux, as- sises à terre, tout à fait sur le premier plan, et qui, dans le magnifique développement de formes qu'elles présentent, ont toutes les beautés du style académique, sans aucun de ses dé- fauts. Là, aucune raideur, aucun apprêt; rien qui sente le man- nequin ; rien de convenu, d'arrangé suivant les règles d'une étroite routine; mais un naturel parfait et en même temps plein d'élévation. En un mot, ces deux ligures, qui attestent à quel point Rubens, quand il le voulait, savait se montrer dessina- teur savant, correct et vrai, sont dignes de servir de modèles dans toutes les écoles, dans tous les ateliers.
Enfm, au-dessus de la terre , où se passent toutes ces scènes d'un intérêt si varié et si puissant, apparaissent sur des nua- ges, soutenus par des anges, Jésus-Christ, la Vierge, saint Paul , et d'autres personnages divins, comme pour présider à ce moment solennel de l'entrevue de saint Benoît et de Tolila. Ici, Rubens, unissant l'imagination d'un poêle et la main d'un i>ein- tre, trans|)orte le merveilleux de l'épopée sur la toile, et, par une liclion en parfaite harmonie avec son sujet, il met le comble
i' SERIE , TOME VII , Supplément à la l" livraison.
à la gloire de l'humble cénobite, qui devient l'instrument du ciel même pour rappeler un conquérant barbare aux premiers senti- ments de l'humanité, et faire triompher la puissance morale de la force matérielle. C'est comme le couronnement du poème par l'apothéose du héros. Ajoutons que les petits anges qui accompagnent ce groupe jieuvent être cités , après V As- somption de la Vierge , au maître-autel de la cathédrale d'An- vers, et la Vierge aux Anges, du Musée du Louvre, pour prou- ver avec quel charme le fier et sublime pinceau de Rubens, qui rendait si bien la vigueur et l'énergie de l'âge viril , réussissait à exprimer les grâces de l'enfance, ses airs de tête délicieux, la naïveté de ses attitudes et la morhidesse de ses chairs.
Ainsi , le merveilleux et la réalité, la poésie et l'histoire, le ciel et la terre, se mêlent avec un ensemble plein de grandeur et d'éclat dans cette vaste composition, qui compte plus de soixante figures, et dont plusieurs circonstimces concourent à faire une page à part dans l'œuvre du grand artiste. C'est d'a- bord la certitude qu'aucun des élèves ou des collaborateurs de Rubens n'y a mis la main, puisque, lorsqu'il l'exécuta, il était enfermé dans l'abbaye d'Afllighem, prèsd'Alost, où il avait élé appelé pour peindre un tableau d'autel représentant le Christ succombant sous le poids de sa croix. Ayant achevé cet ouvTage, un des plus beaux qu'il ait produits, Rubens pensa que les moines de cette abbaye, qui étaient de l'ordre de saint Benoît, attacheraient un vif intérêt à une toile où seraient retracés les miracles de leur illustre patron. Et, comme ces moines avaient élevé quelques difficultés sur le prix de leur tableau d'autel , alléguant qu'il ne pouvait valoir ce que le peintre en deman- dait, d'après le temps qu'il avait mis à le terminer, Rubens comprit qu'il avait affaire à des juges assez peu enthousiastes en fait d'art, et que pour mieux les engager à lui commander le grand tableau des miracles de saint Benoit, il fallait leur en tracer, à l'avance , mieux , beaucoup mieux qu'une esquisse , sans se douter qu'il manquerait son but en allant trop loin. Tout fait foi, en effet, qu'il avait médité et mûri cette composi- tion à loisiravant de saisir ses pinceaux ; car il serait difficile de rencontrer dans un sujet mieux conçu des groupes et des figures plus habilement disposés, des expressions plus variées et plus profondes. L'exactitude avec laiiuelle Rubens a reproduit les principaux miracles de saint Benoit est d'ailleurs un témoi- gnage irréfragable dé l'étude attentive qu'il avait faite de son histoire, conséquemmenl, de l'importance qu'il attachait à cette composition et des travaux consciencieux par lesquels il s'était préparé à l'entreprendre. Il n'est pas jusqu'à cet oiseau noir, perché sur la balustrade de la rampe qui monte au cou- vent, dont la présence n'ait son motif et son explication, il rappelle qu'un jour saint Benoît, à ce que dit sa légende, fut violemment tenté par le démon, sous la figure d'un merle, qui vint voltiger autour de lui dans sa cellule ; qu'alors se réveilla dans son esprit le souvenir d'une femme du monde dont la beauté avait fait une vive impression sur ses sens ; quil fut ébranlé dans son dessein de se consacrer à la vie cénobiiique; mais qu'il finit, à force de prières, par triompher de cette len- Uition, et par chasser le tentateur.
Cet épisode du tableau, d'un si mince intérêt en apparence, peut cependant servir à marquer nettement ce qu'il faulentendre par cette facilité d'invention et d'exécution qui distingue émi- nemment Rubens entre tous ses rivaux. 11 est vrai que lors- qu'il prenait ses pinceaux , sa composition sortait pour ainsi
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L'ARTISTE,
dire tout d'un coup de sa tête, comme Minerve s'élança tout armée du front de Jupiter; mais qu'«n ne s'y trompe pas, quelque prodigue de ses dons que la nature eût été envers Rubens , il ne laissait pas de penser profondément à ses sujets , et de puiser d'abord à toutes les sources qui pouvaient les lui faire connaître et comprendre dans leurs moindres détails. C'est à ce prix, et seulement à ce prix, qu'on acquiert cette heureuse facilité qui assure aux œuvres de l'art une préémi- nence sur tout ce qui n'est fait qu'avec des tâtonnements péni- bles et une recherche laborieuse. C'est dans ce sens qu'il est vrai de dire qu'un chef-d'œuvre n'est que la copie d'un modèle depuis longtemps créé dans l'imagination de l'homme de génie. Il est certain que, ces conditions remplies, le travail coûtait peu à Rubens, qu'il peignait d'inspiration , qu'il semblait im- proviser avec le pinceau; c'est-à-dire qu'il réunissait deux choses presque incompatibles , et qu'on retrouve à un haut de- gré dans les Miracles de saint Bciwil , à savoir : la verve et le calcul, la réflexion et l'enthousiasme.
Une nouvelle preuve du soin tout particulier avec lequel Rubens a traité celte esquisse, c'est que dans les principales figures et dans les groupes le plus en relief, elle est aussi ter- minée que la plupart de ses tableaux. Il est d'ailleurs à remar- <]uer que l'élan, la chaleur, la fougue qu'elle respire partout, dédommagent amplement de certaines parties qui ne sont qu'é- bauchées ; il eût même été à craindre qu'une exécution plus minutieuse n'eût affaibli les qualités qui font son premier mé- rite et son caractère distinctif. Mais là même où il s'est con- tenté d'esquisser, Rutens est encore Rubens. Lui seul pouvait créer ces tètes, qui ne lui ont coûté que trois ou quatre légers coups de pinceau, où la toile est à peine couverte de couleur, et qui néanmoins , vues à la distance convenable , produisent tout autant d'effet, et plus peut-être, que si elles avaient été longtemps caressées par le peintre. Ce n'est pas un véritable connaisseur qui demanderait çà et là plus d'exactitude, plus de précision dans les contours de quelques figures, bien persuadé qu'il eût été fort aisé à Rul)ens de nous satisfaire sur ce point, mais certain aussi qu'il n'y serait airivé qu'en laissant refroi- dir sa verve , qu'en sacrifiant quelque chose de la puissance de sa couleur et de son faire. Que cet ouvrage reste donc tel qu'il est, car, indépendamment de toutes ses beautés, il offre encore un admirable sujet d'étude pour les artistes, en permet- tant de saisir la pensée du peintre dans ses premières manifes- tations , et de suivre sa manière d'exécuter dès les premières touches de son pinceau jusqu'aux dernières. Bref, en voyant un pareil tableau, c'est comme si on voyait Rubens lui-même à son chevalet; c'est comme s'il vous initiait aux plus intimes secrets de son talent.
D'un autre côté, s'il est vrai qu'une condition indispensable de supériorité dans les œuvres de l'art, soit leur conformité avec le génie particulier de l'artiste, Rubens ne dut jamais .se montrer plus grand peintre qu'en peignant ces miracles de saint Benoît. On le concevra facilement, si l'on réfléchit que ce sujet abonde en émotions profondes , en affections vé- hémentes, eu passions impétueuses, telles que Rubens les ai- mait, telles qu'il excellait à les rendre. Aussi l'action, la vie, le mouvement, le bruit même, animent-ils tous les coins de cette toile; on entend les personnages parler, s'écrier; on les voit agir et même penser. Reconnaissons à ces trriis celte peinture qui, suivant de Piles, est la seule vérjlable ; qui fait que, par la
force de l'impression qu'elle produit, nous ne pouvons imhw empêcher d'en approcher, comme si elle avait quelque chose à nous dire; qui appelle parla puissance et la vérité de son imi- tation ; vers laquelle enfin marche le spcctaieor surpris , comme pour entrer en conversation avec les figures qu'elle représente.
Peut-être se demandcra-t-on comment il se fait qu'à la vue de cette admirable production, les moines d'Afllighem ne se soient pas empressés de charger Ftubens de l'exécuter dans les proportions de l'histoire. Il y en a , suivant nous, une raison toute simple : ils auront pensé que le grand tableau n'aurait pas surpassé, n'aurait pas égalé peut-être ce premier jet du gé- nie de l'artiste. A cet égard, s'il faut le dire, nous serions as- sez de l'opinion de ces moines. Une chose indubitable , du moins, c'est que le second tableau n'aurait pas uni plus de vi- gueur et d'éclat à plus de sagesse et d'harmonie dans la cou- leur; qu'il n'aurait pas été touché d'une manière plus hardie et plus ferme; qu'il ne se distinguerait point par une plus grande richesse de composition; que l'expression n'y serait pas plus passionnée, plus énergique; que l'air n'y aurait pas mieux cir- culé entre toutes ces figures, toutes ces têtes, qui, malgré leur multitude, se détachent avec un art merveilleux les unes de» autres; enfin qu'il ne présenterait pas plus de variété et de vé- rité dans les altitudes et dans les gestes. Et maintenant que, grâce à M. Tcncé, ce tableau est en France, nous n'avons plus qu'un vœu à former, c'est qu'il y reste, et, pour cela, qu'il vienne prendre, dans la galerie du Louvre, la place qui lui ap- partient à tant de titres.
Nous saisissons cette occasion de rappeler que VArlitte (1834. 1" série, 8< vol., là' livraison ) a déjà entretenu ses lecteurs de la belle et riche collection de tableaux et d'objets d'art que • M. Tencé a formée à Lille, et nous nous faisons un plaisir d'annoncer ici qu'elle s'est encore accrue, depuis cette épo4|ue, d'un bon nombre d'ouvrages des premiers maîtres flamands et hollandais, entre autres de Berghem, Wynants, Wouwer- mans, les deux Osiade, Paul Potier, Téniers, Jean Steen, Rembrandt ,Van Uyck , et de plusieurs productions fort remar- quables des écoles d'Italie.
M. mum ET L'ACADEMIE DES BEAL1-.\RTS.
Ais d°al>ord , commençons par répondre à l'administration des Musées , commençons par rec- tifierce qu'elle a pu dire à noire sujet, ei rétablissons les faits tels qu'ils ont été dans leur origine, et tels qu'ils sont en- core à celle heure. — Quand nous avons blâmé l'administra- tion, du retard , ou pour mieux dire, de la négligence qu'elle avait mise à publier la nouvelle mesure qu'elle désirait adopter, nous l'avons fait dans Pintérèi
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des artistes, que radministration prenait au dépourvu , et qui eussent été, pour cette année, les premières victimes des ■améliorations annoncées. — M. de Cailloux l'a bien senti lui- même , car tout a été comme nous l'avions prévu ; notre voix a été entendue, elle a été écoutée; et l'administration, en bonne mère qu'elle est , n'a point voulu désoler ses enfants : aussi tous les artistes lui sauront-ils gré de ce qu'elle vient de faire, et, quant à nous, nous ne pouvons que la féliciter de l'empressement qu'elle a montré à se rendre à nos justes réclamations. Mais, parce qu'elle s'est trompée sur l'opportu- nité de la mesure , parce qu'elle a agi inconsidérément, est- ce une raison pour rejeter sur ceux qui l'ont avertie de son erreur, le blâme qu'elle-même, qu'elle seule a pu mériter? Non assurément, et ce serait une criante injustice d'oser le pré- tendre. Mais alors, pourquoi donc répondre aux artistes que nos paroles avaient alarmés , « que rien encore n'était décidé , » ou bien, « que t'Arliile avait pris au sérieux ce qui ne devait pas l'être? » Étranges réponses! Et en effet , comment conce- voir, comment soupçonner qu'une administration aussi sérieuse (jue celle des Musées, nous adresse des avis qui ne soient pas sérieux, qui ne sauraient être pris à la lettre? — Eb quoi! Messieurs, quand vous nous écriviez pour que nous en avertis- sions les artistes, — le premier février, — nous aurions dû lire le dix-huit, et, quelques jours après, sur les observations ver- bales de l'un de nous, quand vous nous affirmiez vous-mêmes que tout cela était bien réel , que les termes do voire annonce officielle de cette année n'étaient point ceux de l'année der- nière, et que tout était changé, il eût fallu vous rire au nez, et vous répondre comme vous avez eu l'air de le faire : « Vous ne savez ce que vous dites! » — Non, Messieurs, cela ne pou- vait être ainsi, avouez-le. Nous, le public , nous ne pouvions savoir mieux que vous, juges de la question, ce que vous seuls étiez à même de savoir, et nous avions trop de confiance en vous, et trop de politesse aussi, pour vous oser contredire en rien. Vous vous êtes rétractés, et vous avez dignement agi; seulement, convenez qu'il eût mieux valu, dans votre position, vous rétracter purement et simplement , sans mot dire et sans nous accuser; retarder l'ouverture du Salon s'il y avait eu lieu, et maintenir pour l'année prochaine ce que vous aviez annoncé pour celle-ci. Nous vous le répétons, la mesure est excellente, sauf l'opportunité ; vous êtes de notre avis , c'est très-bien ; mais ne nous blâmez pas de vous avoir avertis , ou , tant au moins, d'avoir provoqué vos explications. — Et puis encore , pourquoi dire aux uns : « Envoyez dans la première dizaine de février; » aux autres ; «Vous avez jtis([u'au quinze (terme de rigueur) ; » et enfin, aux plus importuns : »Rien n'est changé, » ce qui veut dire : « vous avez jusqu'au dix-huit? » Ne vaudrait-il pas mieux dire à tous : « Uieii n'est changé, vous avez jusqu'au dix-huit ; » ou bien seulement ; « Vous n'avez que jusqu'au dix? » — L'admininistralion, dites-vous , n'aura jamais le temps de tout faire ; qu'à cela ne tienne ; retardez l'ouverture du Salon, mais n'induisez personne en erreur; n'ayez qu'une volonté, ((u'une parole, et que chacun sache bien désormais sur quel temps il peut compter.
Maintenant, et toujours à propos de l'Exposition de 1841, occupons-nous de la quatrième classe de l'Institut ; parlons de l'Académie des Beaux-Arts et de l'espèce d'assujettissement où elle vit sous rinlluence, ou plutôt sous la férule de monsieur l'architecte du roi. Fontaine. — N'est-ce pas que c'est un spec-
tacle des plus tristes et des plus adligeants, de voir un corps constitué et indépendant, composé d'hommes éminente, choisis par une libre élection, et qui tous sont arrivés à celle haiiii- position par la toute-puissance du talent; un corps établi uni- quement pour travailler à l'enselgnemenl et au développement de l'art, croupir dans une conlinuelle dépendance des moindres hommes et des moindres choses , d'un courtisan maladroit on d'un ministre ignorant, d'une commande ou d'une faveur; el des artistes aussi recommandables que le sont la plupart des académiciens, n'aspirer, devant toute question importante, qu'à s'effacer par leur silence , ou qu'à retarder par leur inac- tion la réalisation du progrès?
— Hélas! oui , cela est triste, d'autant plas triste que cela n'est malheureusement que trop vrai. — Dans celte illustre assemblée où la nation a réuni tous ses enfants les plus illus- tres, dans les cinq Académies dont se compose l'Institut de France, il est une Académie qui a failli à son origine et à ses destinées, luie seule qui s'occupe sans rien produire et passe tous ses jours en d'obscures et stériles divagations, tandis que ses nobles sœurs accélèrent de toutes leurs forces, et chacune en ce (|ui la concerne, le grand el magnifique édiûce de noire civilisation. — L'Académie des Beaux-Arts ne songe et ne tra- vaille qu'à se faire oublier : il n'est pas jusqu'aux sottises qu'elle fait qui ne soient obscures el cachées. ,\ussi, avec quelle ardeur a-t-on empiété sur ses droits , avec quel dédain rc- pousse-t-on de toutes parts ses conseils el ses décisions! Être de l'Académie des Beaux-Arts n'est plus un titre dans l'opi- nion , et le public s'est tellement habitué à la nullité el au si- lence de celle classe de l'Inslilut, qu'il lui semble que tous les grands artistes qu'il y admire sont incapables d'avoir une idée à eux, ou bien, qu'ils sont condamnés à se taire par cela seul qu'ils font partie de l'Académie. — C'est qu'en effet il y a là, dans le sein même de l'Académie, une majorité aveugle et Ver- rible , pleine de routines et de misères , une majorité qui ab- sorbe au profit de ses rancunes el de ses préjugés, el quelque- fois même au profil de quelques intérêts privés, toutes les jeunes gloires auxquelles , depuis quelque dix ans , elle s'esl vue forcée d'ouvrir les portes du palais où elle trône. — Quoi- * que nous ayons bien souvent blâmé l'Académie des Beaux-.Arts, aussi souvent qu'elle nous a paru le mériter, nous n'avons pour cela jamais nié sa valeur, ni celle des hommes qui la composent; el, malgré les vices de son organisation et l'esprit stationnaire el exclusif des vieux académiciens, elle n'en est pas moins à nos yeux, jusqu'à nouvel ordre, le tribunal le plus compétent en matière d'art. Notre plus grand désir, vous le savez, a toujours été d'être justes à l'égard de tous, et de dé- fendre la cause de l'art contre quiconque lui portait préjudice, ou prétendait en arrêter les progrès. Nous avons attaqué toutes les coteries, et plus qu'aucune autre, colles qui venaient de r.\c3démie, parce que celles-là nous semblaient les plus dan- gereuses à cause de leur origine el de l'autorité qu'elles en tiraient. Mais aujourd'hui que rAcadomio est à tel point effa- cée qu'elle n'existe réellement que par quelques hommes et 1?ï non plus par elle-même , nous regardons comme de notre de- voir d'arrêter sa ruine, c'est-à-dire d'empêcher qu'elle ne soit pas seulement une espèce de sinécure ouverte à des inutilités. les invalides artistiques ; nous voudrions pouvoir i'ebliger, s'il en est temps encore, à ressaisir l'inlluence qu'elle a perdue, à reconquérir les droits d^ià trop rostreinlsqui lui appartienneni,
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et dont elle ne saurait se départir volontairement sans fai- blesse et sans déshonneur.
A Dieu ne plaise que nous entrions ici dans un système de per- sotmalités toujours irritantes : c'est bien malgré nous que nous avons d'abord nommé le chef de celte coterie dont nous vous parlions naguère. Mais, enfin, ilfaut que la vérité soit con- nue, etquechacun garde la responsabilité de ses actes; — il faut surtout que le roi juge et prononce en connaissance de cause. — Rappelez-vous les modifications que le roi avait, dit-on, par l'organe de M. de Cailleux , promis d'introduire cette année dans les opérations du jury! Elle s'imaginait, cette pauvre Académie, que puisque le roi avait retiré à un jury arbitraire, où figurait M. Fontaine, le soin d'examiner les tableaux et les statues envoyés au Salon, pour en charger l'Académie, c'était sans doute parce que le roi croyait l'Académie plus compé- tente et pins impartiale que la coterie; et aussi, que le roi ne pouvait qu'approuver une démarche qui n'avait pour but que d'apporter une plus grande équité dans les admissions et les refus ; elle pensait, avec raison, qu'elle savait mieux que personne quel mode d'opération était le meilleur, le plus équi- table , et qu'il était de son droit autant que de son devoir d'en instruire le roi, de formuler son opinion et de la soumettre à la sanction royale. Car, et c'était même probable, le roi, au milieu de tous ses travaux et de tous